La rentrée des fêtes est à peine consommée que nous entrevoyons déjà la tonalité du débat politique de 2019. Le la a été donné et les premiers actes posés. Entre les journées VII et VIII des gilets jaunes, Emmanuel Macron a décidé de se poser comme le gardien du temple républicain, oscillant entre appel à la raison, à l’ordre et répression d’Etat. Il a phagocyté la droite incapable d’avoir un discours politique autonome.
L’acte IX a été marqué par un regain de mobilisation côté rue et s’est conclu ce dimanche 13 janvier par la lettre du Président aux Français, c’est-à-dire trente propositions en vue d’une consultation nationale qui se déroulera jusqu’à avril et visera à bâtir ce que le pouvoir définit comme « un nouveau contrat pour la Nation » structurant l’action du gouvernement et du Parlement ainsi que les positions de la France au niveau européen et international. Ainsi énoncée, l’entreprise semble vaste mais à y regarder de près, elle est très réduite dans ses marges de manœuvre.
Emmanuel Macron nous invite à parler fiscalité, transition écologique, organisation de l’Etat et démocratie mais il nous refuse le droit d’inventaire, et plus encore de retour sur ses réformes, à commencer celle sur le code du travail et la suppression de l’ISF. Pire, il nous impose comme intangible le cadre libéral de ses politiques tout en assumant un dérapage contrôlé sur quelques sujets dont on sait qu’ils sont à hauts risques idéologiques : il en va ainsi de la réduction des dépenses publiques présentée comme la contrepartie des baisses d’impôts, sur la proposition « une fois nos obligations d’asile remplies » d’instaurer des quotas en matière d’accueil parce que « la tradition est aujourd’hui bousculée par des tensions et des doutes liés à l’immigration et aux défaillances de notre système d’intégration ».
Il en va aussi de propositions en trompe-l’œil qui font sciemment écho aux peurs sociales et servent de subterfuges pour se dérober au vrai débat de fond promis. Par exemple, le parti pris du Président de personnaliser sa relation au peuple (SA lettre aux Français) et de privilégier les élus de proximité « les maires auront un rôle essentiel car ils sont vos élus et donc l’intermédiaire légitime de l’expression des citoyens » tandis qu’ils minorent et isolent celui des parlementaires… « Quelle est la bonne dose de proportionnelle aux élections législatives pour une représentation plus juste de tous les projets politiques ? Faut-il, et dans quelles proportions, limiter le nombre de parlementaires ou autres catégories d’élus ? ». C’est encore le choix de convoquer le renforcement des principes de la laïcité française, dans « le rapport entre l’Etat et les religions de notre pays » juste après avoir évoqué la possibilité de réduire l’immigration.
Le temps des confusions
En appui à cette offensive élyséenne le week-end a donné lieu à une autre, celle-là mise en lumière dans le JDD du dimanche 13 janvier : elle consiste une nouvelle fois à mettre sur le même plan politique et idéologique, Jean-Luc Melenchon et Marine Le Pen (c’est-à-dire, selon eux, les extrêmes) en allant jusqu’à soulever l’hypothèse improbable que ces deux-là pourraient converger pour nous jouer un scénario à l’italienne. Certes, je ne partage pas (et cela n’est un mystère pour personne) la démarche de la France insoumise et de son leader, dont le populisme assumé joue sur la confusion des genres comme en a attesté dernièrement l’éloge à Drouet. Il n’empêche qu’agiter le spectre d’une unité factice entre les insoumis et les fascistes est non seulement nul et non avenu mais dangereux pour le débat démocratique tout entier.
Cela par contre finit de nous éclairer sur la stratégie poursuivie par le Président de la République. Cette bipolarisation qu’il tente de scénariser pas à pas lui permet de s’exonérer de ses choix politiques, français comme européens, en s’incarnant garant de l’ordre et des libertés face à la dangerosité d’une situation sociale explosive. C’est encore la seule manière d’étouffer un vrai débat critique qui pourrait favoriser l’émergence d’une alternative de gauche qui aille disputer une majorité d’idées et de projet. Nous ne pouvons laisser le débat aller à vau-l’eau. Cette actualité doit nous inciter à proposer et agir.
Je ne nie pas la difficulté de la situation. Celle, durable, d’appréhender la mobilisation des gilets jaunes dans sa réalité contradictoire et antagoniste : porteuse d’une vraie envie démocratique, d’une colère au diapason de la souffrance sociale exercée sur notre peuple mais tout autant marquée par l’idéologie dominante, mêlant allègrement taxation des plus riches et pénalisation des plus fragiles avec la fermeture des frontières.
Trouver des voies nouvelles pour la gauche de transformation
Je me suis d’emblée interrogée et continue à m’interroger sur la nature profonde de ce mouvement et sur les leviers de recomposition sociale et politique qu’ils contribuent à nourrir. Mais un fait est certain : c’est que cela ne devrait pas pousser à la paralysie politique mais, au contraire, devrait conduire la gauche de transformation à trouver les ressorts d’une offre politique commune qui prenne en compte les intérêts populaires en donnant de la force et du sens au mouvement pour l’émancipation. Elle l’a fait en 1936 avec le Front populaire ou, sous une autre forme, en 2005 pour empêcher que le non au TCE ne soit préempté par l’extrême droite et donner corps à un non de gauche qui ne soit ni anti-européen ni nationaliste.
Ce matin, je lisais les déclarations de Fabien Roussel appelant à envahir le Grand Débat National de Macron pour le dévoyer, faire en sorte que tout soit mis sur la table (pouvoir d’achat, ISF, CICE, partage des richesses, augmentation des salaires et des pensions…) pour que cette consultation devienne un point d’appui dans le combat en cours. Mais cette force sera d’autant plus grande qu’elle sera portée collectivement et qu’elle ouvrira une perspective majoritaire.
Nous sommes à l’une de ces croisées de chemin où la bascule vers la régression peut s’opérer, où elle commence même à s’opérer. Nous sommes à ce moment où les repères ont explosé et qu’un nouveau logiciel se met en place. La France de Macron stigmatise ses pauvres, les réprime et les enferme en prévention… L’Union européenne compte 87 millions de pauvres, ne dit rien quand on emprisonne des responsables politiques en Espagne et est devenu un mouroir pour les migrants. Quant au monde de Trump et de Bolsonaro, on voit semaine après semaine ce qu’il produit d’exclusions, d’oppression et d’engrenages guerriers.
Pensons un seul instant que nous pourrons faire face à ce rouleau compresseur en faisant abstraction du rassemblement le plus large ? Quel horizon voulons-nous donc pour nous-mêmes et nos enfants ?
Bien sûr, les combats sociaux se multiplient. Nous nous efforçons les uns et les autres de leur donner de la force et des perspectives en terme propositionnel. Nous nous y employons fortement aujourd’hui au PCF sur les questions fiscales et de justice sociales, nous voulons pousser le débat d’alternative et nous avons raison de le faire. Certains trouvent déjà ou vont trouver leurs revendications dans notre programme certes, mais au delà de cela, nous, comme l’ensemble de la gauche, sommes incapables de faire une offre politique commune, de proposer une perspective réellement transformatrice à court ou moyen terme. Aucune issue donc ni pour les gilets jaunes, ni pour les manifestants de ce printemps, ni pour toutes celles et ceux aujourd’hui victimes du délit de solidarité. Jusqu’à quand ? Ce grand débat national ne peut-il justement pas devenir celle du grand débordement populaire citoyen et unitaire?
Europe année 0
Nous entrons en campagne européenne et la machine à fragmentation des forces d’alternatives s’est remise en marche. Après la saison 1 qui a conduit, en 2015, a laissé la quasi totalité des régions à la droite dans une majorité des seconds tours UMP/FN, après la saison 2 en 2016 qui a été celle de la dislocation du Front de Gauche, après la saison 3 en 2017 eet l’avènement d’Emmanuel Macron et, dans son sillage, l’élection d’une majorité de députés La République En Marche, on s’achemine vers une saison 4 qui va nous marginaliser ou carrément nous éliminer du Parlement européen.
S’il ne s’agissait que d’une question électorale, d’un de ces passages obligés où il s’agit de perdre un peu pour regagner beaucoup parce qu’on est assuré derrière du mieux, soit…
Sauf qu’ici le risque est global : politique, culturel, démocratique. Politique parce qu’avec une assemblée de plus de 200 députés d’extrême droite, des commissaires européens issus de ses rangs, on sera face à un vrai danger fasciste, confronté à un libéralisme dévastateur ouvertement autoritaire et répressif. Et oui, appelons un chat un chat : il y a péril en la demeure car derrière ce sont les peuples qui trinqueront.
Je n’épiloguerai pas. Mon propos est politique, il ne sera pas une incantation de plus.
Au 31 janvier 2017, 280 directives et 381 règlements communautaires étaient en vigueur. C’est une forteresse encore inviolée. Et bien mollement attaquée. Sauf à décider de l’affronter avec une gauche antilibérale travaillant main dans la main avec les partis nationaux, les syndicats, associations et mouvements citoyens. Possible ? Oui si nous le décidons .